A.

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Légende / Description

Crédits: Alexandros Tzortzis (Instagram: @alexandrostzortzis)

J’ai pensé à toi
La toi de maintenant à la frange normalisée au chignon haut et aux six piercings ornementaux
J’ai pensé à toi qui portes des bas de nylon sous ses shorts scrap. La toi qui portes des pantalons trop grands sur des jambes de feu de paille et des t-shirts publicitaires sur tes seins de vedette pornographique que t’es pas sûre de vouloir faire voir.
J’ai pensé à toi qui portes ton insigne-nom épinglé de travers sur ton uniforme de travail que t’es pas sûre de vouloir avoir
Maintenant que tu es une grande adolescente pas sûre de grand-chose.

J’étais ailleurs quand j’ai pensé à la toi de maintenant qui offre son manteau d’hiver à une démunie. Qui cuisine des muffins aux sans-abris et offre la moitié de sa paye aux animaux malmenés mais prend tellement d’énergie et de temps à me haïr.
Puisque penser à ça me brûlait un peu
J’ai davantage pensé à la toi d’avant
Avant le mascara avant l’acné l’anémie l’apathie et les tentatives de résolution, avant les garçons ou non. Avant les arcs-en-ciel trop vite dans les cheveux. Les cicatrices sur tes bras que tu penses qu’on a arrêté de voir avec le temps.
Sache
Qu’on voit tout
Ce que t’es pas sûre de vouloir cacher
Avec toi on a appris à regarder sans mourir.

Ça me brûlait quand même alors j’ai pensé à toi avant, toi bébé.
Tes cheveux en bataille, courts et noirs
Je les vois à chaque fois où «ébène» naît dans les mots croisés du journal.
J’ai pensé à toi bébé
Tes longs cils fermés sur tes paupières fripées
Ton nez comme un flocon de neige écrasé dans la vitre
Et l’aile de tes yeux au fond d’une chaloupe.
Ta bassinette était blanche, ta literie bleue comme les amandes portugaises qu’ensemble on tète aux Fêtes.
À ton réveil je te traînais dans le panier de lessive, blanc aussi, les planchers de bois chantaient, tu m’aimais
Et tu respirais lentement, tu rêvais toujours.

Après j’ai fait un saut dans le temps
Pour mieux t’aimer j’ai pensé à celle que tu serais dans mille années, au bord de la mort.
La vulnérabilité est mon moteur d’amour favori.
J’ai imaginé tes petits pieds emmêlés plus sûrs de comment se déposer
Et tes incertitudes ont fait un pont des années
Ta peau toujours aussi pâle sous la cellophane du temps qui passe
Et tes yeux transparents, pleins d’espace.
J’ai pensé à tes cheveux du futur, me suis demandé s’ils seraient blancs ou gris ou les deux
Séparés sur le côté ou dans le milieu, ton chignon se serait-il allongé dans le bas de ta nuque, aurais-tu des rituels de tresses quotidiennes, retiendrais-tu tout ça d’un petit élastique transparent du Dollorama ou un gros frou-frou de velours rouge sang.
Je me posais des questions sur tes cheveux à propos desquels tu ne cesses de t’interroger toi-même (la coiffeuse connaît ton numéro de téléphone par cœur vous vous textez vous commentez vos photos Facebook et vos nouvelles lunettes et vos coupes de toupet funky et vos ravages amoureux)
Je tremblais je soupirais
De ne pas arriver à te cerner le capillaire, te figer le futur chevelu à défaut d’autre chose.

J’étais censée te méditer
Avant et après
Pour que le présent s’allège
Mais tes cheveux de fin de vie
Peinaient à se peigner clairement dans ma tête.
Ils sont comme ceux de ton adolescence d’aujourd’hui.
Tes cheveux me mêlent.

Quand on a parlé de penser à une personne avec laquelle s’érige une difficulté, j’ai préféré et priorisé visualiser ton visage de poupée asiatique plutôt que celui du caissier à la librairie de l’université
De la professeure pleine des poux de la dictature chilienne
Mon père plein de rien
Mon psychologue envolé
C’est arrivé très rapidement je voyais clairement le ciel te passer à travers la tête via les yeux
Bleus.
Je voyais tes petites jambes de flamand rose, d’héron femelle, de quenouille africaine
Ta dégaine
Je tenais parfaitement l’image actuelle qu’assise ici je me fais de la toi actuelle sûrement étendue là-bas, en ville. Dans le sofa couleur peau du lapin qui est aussi ton petit copain
Tu aimes surtout deux choses: être près de ce qui ne sait qu’aimer
Ou de ce qui ne sait pas s’aimer tout seul.

On a parlé de penser à une personne avec qui c’est un peu difficile avec qui le bât blesse et j’ai bien vu immédiatement tout: ton visage de grain de tulle tes épaules gênées toute la largeur de tes clavicules, le ballet de tes cils. Tes vieux pantalons tes bas d’intérieur les motifs sur ta cape d’hiver.
Tout ça j’ai bien vu, bien vu tout, sauf tes cheveux.
Je n’arrivais plus à décider quelle teinte ils étaient devenus.
Comment tu les avais rendus.
Bleachés solide gris mauve lilas bleu brun caramel ou ton châtain naturel
Je sautais d’une teinte à l’autre, c’était dérangeant dans ma pratique méditative de t’envoyer du loving kindness sérieusement.

Depuis qu’ils ne sont plus ébène
Dans les flanelles de ton parc à bébé
Quand je ferme les yeux je ne sais plus reconnaître tes cheveux
Ton capillaire si précieux
Est flou à mon cœur, ma sœur.

Quand j’ai eu besoin de marcher dehors j’ai choisi le stationnement du monastère
Ai entamé le pas avec vivacité et bon allant, il fallait m’ébroussailler l’anxiété le regret et la peine qui vitriolent notre fenêtre communicante
Marcher vite shaker off ce qui m’accidente dans l’incapacité répétée à te dessiner.
Et bientôt, doucement
Mon pas s’est ralenti
Je t’attendais
Presque sans faire exprès.
Vous trottiez là, toi tes cinq ans et ton déficit d’attention gros comme le bras. Que comme tes cicatrices sur les bras beaucoup plus tard on a fait semblant d’arrêter de voir. Semblant.
Vous trottiez là, toi tes couettes revirées par en dedans. Ta salopette de travers après la journée d’école. Ta boîte à lunch traînant sur le trottoir du chemin vers la maison.
Tu étais là. Perdue au centre de tes yeux lents et ton imaginaire immense.
Et cette fois-là au lieu de te crier après, je te criais tout le temps après, au lieu d’être l’adolescente qui ne savait pas mieux que j’étais, je t’attendais. Et même si le silence m’intimait au silence, je n’aurais quand même rien murmuré sauf: pardonne-moi que je te pardonne.

Dans le jour transparent j’ai monté le foulard blond sur mes joues mouillées
Un caniche royal très pâle est passé devant moi et la neige blanche brillait blanche comme une bombonne chez le coiffeur
Tu étais partout
Et là je ne savais plus très bien
Dans quelle catégorie de beings te classer ma sœur.

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