Journal d’une COP15

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Cahier référent

Mardi 13 décembre 2022

Il y a quelque chose de gros, d’immense dans ces rencontres qui me font sentir un peu en marge: j’ai toujours l’impression que je ne mérite pas ma place parmi tous ces hommes en complets-cravates. Je ne suis ni une grande scientifique ni une personnalité publique importante. En même temps, je sens que mes valeurs sont ébranlées: ne devrais-je pas être dans les rues pour manifester mon angoisse, mon désir que les choses changent? Changer les choses de l’intérieur, intégrer la machine. 

-    How is it going? 

Un passant s’arrête au Youth Pavillon et interrompt mon fil de pensée. En vérité, c’est probablement une notification d’Instagram, de Messenger ou de n’importe quelle autre application ou réseau social qui m’a déconcentrée bien avant tout le reste, ça m’apprendra à écrire sur mon téléphone. 

-    How is it going? 

C’est un peu ça, si j’avais à définir le but de la COP 15, c’est de voir comment ça va (mal) et d’établir un plan, une stratégie entre grands dirigeants mondiaux pour que ça aille mieux pour l’ensemble de la biodiversité. Je survole la salle du regard. Assise au sol, je prends le temps d’observer ce qui m’entoure. C’est bruyant, des gens parlent dans des micros un peu partout dans une cacophonie multilinguistique. Il y a des conférences, des groupes de travail, un bourdonnement constant de milliers de personnes réunies dans les vastes salles du Palais des Congrès. Les gens circulent, d’autres sont assis et travaillent sur leurs ordinateurs. Comme une chorégraphie qui se joue, toujours en décalé. La ventilation vrombie sans cesse. Je prierais pour un petit silence, il me semble que ce serait reposant. 

Je retourne à mon texte. Je ne peux m’empêcher de me demander ce que je peux faire. C’est peut-être pour pallier au sentiment de vertige qui m’habite depuis ce matin. Si je prends le temps de m’arrêter, ce serait ça le problème auquel je voudrais m’attaquer: réduire mon empreinte écologique numérique. J’ai plein de questions, peu de réponses et, en y réfléchissant, je me dis que je vis probablement mieux en ne sachant pas. Parce qu’une fois en connaissance de cause, je serai bien obligée de passer à l’action moi-même: arrêter de scroller Instagram à n’en plus finir, supprimer les 903 courriels publicitaires que je ne lirai jamais, vider mon cloud, mon dropbox, et tout autre geste qui sera nécessaire.

Je ne peux pas m’empêcher de rire à l’idée que tous ces gens sont venus en avion seulement pour quelques jours et que ces déplacements ont dû être d’autant plus polluants que ma ride Québec Montréal en solo dans ma Yaris (et pour laquelle je culpabilise en masse depuis hier).

La séance d’écriture est finie. Je me lève en suivant le groupe qui se dirige tranquillement vers la sortie. On se sépare en se souhaitant une bonne semaine; on se revoit vendredi. 

J’ai faim, mais je veux tout de même prendre le temps d’explorer les lieux. Je me déplace d’une salle à l’autre. Je me déplace lentement, mon sac à dos est lourd. Dans une des salles, de nombreux kiosques se font face. Je ne peux pas m’empêcher de constater la quantité phénoménale de dépliants, d’autocollants et d’articles à l’effigie d’organismes environnementaux de partout dans le monde. Il y a des piles de cartons derrière chaque petit comptoir. J’imagine que toutes ces caisses ont fait le voyage en avion elles aussi. J’ai une pensée pour Greta qui avait pris un bateau de l’Angleterre pour aller à New York. Je continue ma visite des lieux en errant dans mes pensées. Plusieurs kiosques sont déserts, les gens sont partis manger. Je me choisis des écussons et je note les espèces qu’ils représentent dans mon téléphone:

Reverse tulip (imperial crown)
Hyena 
Monachus monachus (monkseal)
Caretta Caretta 
Geronticus eremsto (bald ibis)

Je me dis que j’aurai la chance de googler ça plus tard. Des piles de dépliants laissés au hasard sur un banc captent mon attention. C’est angoissant de penser à tous ces papiers qu’on aura oublié au fond d’un sac ou sur la table de chevet de la chambre d’hôtel.

Je me dirige vers la sortie en prenant le temps de m’arrêter au pavillon canadien. Il y a des petits cornets au sirop d’érable et des cartes postales un peu cliché de Parcs Canada. Je reconnais des visages, des personnalités du paysage politique québécois.

L’impression que je n’arrive pas à tout saisir.

*

16 décembre 2022

Tapis, pas feutrés et sans vibration. 
C’est beaucoup plus calme, moins étourdissant que mardi. Le brouhaha y est toujours constant, sans toutefois prendre toute la place. Dans le fond de la pièce, une installation fait entendre de la musique rappelant les profondeurs de l’océan. Le son de la ventilation est persistant. 
Mais qui sont donc ces gens avec qui tout le monde parle au téléphone ?  
Je trouve le p’tit côté écolo branché de la salle un peu performatif: îlots alliant discussions et conférences, espaces avec fauteuils confortables pour se poser et travailler, couleurs vives, mais pas trop. 
Les codes QR générés exclusivement pour l’événement sont partout, sur les dépliants, sur les affiches, collés sur les comptoirs des kiosques. Ça doit avoir une lourde empreinte écologique. 

Entre deux paragraphes, je m’accorde un petit tour sur Instagram. Je recherche COP15 sur la plateforme. Des milliers d’infographies, de vidéos, de photos, il y a de la couleur en masse. Beaucoup, beaucoup de bleu et de vert. C’est un langage en soi que celui de la pub écologique. En défilant les publications, je tombe sur une photo de Steven Guilbeault en compagnie de Geoff Green, je ne sais pas pourquoi ça capte mon attention. Le carrousel de photos est publié par l’organisme @studentsonice. Je lis le caption :

Thank you to Minister @stevenguilbeault for taking the time at #COP15 in Montréal to talk with our Founder and Expedition Leader, Geoff Green, about the importance of ocean health, biodiversity, 30X30, Canada’s future role in the Antarctic, and the future of our Ocean Decade Expeditions1!

«30X30», ça ne me dit rien. J’ouvre google, et je me plonge dans la lecture de l’article «How to meet the ambitious target of conserving 30 per cent of Earth by 20302.» écrit par Matthew Mitchell. Je suis déconcentrée par mes pieds mouillés dans mes bottes. J’arrête pas d’avoir des frissons. Je me dis que je poursuivrai ma lecture plus tard.

Je dois reprendre la route pour Québec cet après-midi.

*

15 janvier 2023

Je sillonne tranquillement le quartier pour une énième fois, c’est un dimanche midi tranquille, ensoleillé et froid. Cela fait déjà un mois que la COP15 est terminée et je me questionne sur la postérité de l’événement. «Un accord “historique”», pouvait-on lire partout dans les médias aux lendemains de la conclusion de la Conférence. Pourtant, un mois plus tard, on n’en entend plus du tout parler. Ce genre de chose tombe rapidement dans un coin oublié de notre mémoire collective.

Une image vue sur Instagram me revient en tête; celle de @collages_feministes_montreal_, «COP15 HYPOCRITE», écrit en grosses lettres sur un mur de brique. Le texte accompagnant la photo était frappant. J’attends d’être rentrée chez moi pour retrouver la publication.

« Les gouvernements se félicitent de prendre des engagements qu’ils ne respectent jamais. Cette absence de résolution politique accélère l’exploitation des territoires et la destruction des écosystèmes. Il ne s’agit pas d’adapter la planète à un système écocidaire. Il faut proposer des solutions anticapitalistes, anticoloniales, anti-impérialistes3 », peut-on lire sous la photo.

C’est confrontant. Probablement parce qu’au-delà de la critique à l’égard des dirigeant.es politiques, ça parle à ma propre hypocrisie, à ma propre inaction. Je n’ai toujours pas fait le ménage de ma boîte de courriel et je n’ai jamais fini la lecture de l’article sur le 30X30 canadien. Je n’ai pas pris le temps d’aller sur Wikipédia pour chercher les espèces en voie d’extinction que j’avais pris la peine de noter. Même mon écoanxiété n’arrive pas à réfréner mes élans de procrastination. 

Pour citer

Leblanc-Belval, Erika. 2023. Journal d'une COP15. Réécrire la COP15. Cahier virtuel. Numéro 8. En ligne sur le site de Quartier F. https://quartierf.org/fr/article-dun-cahier/journal-dune-cop15

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Lors de votre allocution à la cérémonie d’ouverture de la COP15 vous avez mentionné: « on continue d’augmenter la liste des espèces menacées ou vulnérables ».
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Le 16 décembre au matin, avant de me rendre au Palais des congrès de Montréal, où se tenaient alors les négociations de la COP 15 des Nations unies sur la biodiversité, je me suis rendu dans un café près de chez moi pour faire quelques heures de lecture.