Silentium

L’homme est semblable à un souffle, 
Ses jours sont comme l’ombre qui passe.
Psaumes 144 : 4
 

Dans une autre réalité, l’assassin est entré dans la maison d’à côté. Elles sont faciles à confondre: même devanture, même petite fenêtre en losange, mais c’est celle-ci qu’il a choisie, dans ce temps et dans ce monde et ce n’est pas le fils de la voisine qui s’apprête à entrer, mais le fils de Joyce. Il tourne la poignée. Il regarde son ombre. Car nous sommes d’hier, et nous ne savons rien. Nos jours sur la terre ne sont qu’une ombre. Passer la porte veut dire trébucher sur le temps. Il est projeté ailleurs. Dans un espace trop paisible. Dans un silence saturé de mort. Un réel suspendu. L’air encombré de poussière et de métal empêche de respirer comme avant. Avant que le meurtrier ne choisisse cette maison plutôt que l’autre, l’air était si léger qu’on l’avalait à grande bouffée. Le meurtre étrangle les maisons, leur coupe le souffle. Dan est ailleurs. Absorbé par une sensation de noir opaque. Le visage de Joyce s’illumine quand elle l’aperçoit. Un rayon de lumière traverse la pièce. La poussière virevolte lorsque sa mère passe devant. On dirait un instant qu’elle va devenir particule et s’envoler. Une brise et elle disparaitrait tout entière. Mais il n’y a plus d’air, elle reste figée. Certains souvenirs se déroulent au ralenti. Peut-être pour éviter qu’ils glissent sur la surface de notre esprit et se perdent à jamais. Joyce s’approche, allonge les bras et s’évapore. Le salon redevient sombre. Une partie de Dan demeure sur le seuil de la porte. À chaque pas, il reste derrière. Il se scinde à l’infini. Devient lui-même un fantôme… La maison lui paraît trop petite pour contenir à la fois son enfance et le meurtre de sa mère, mais les images tournoient, comme si les émotions faisaient se mouvoir la mémoire. Le bonheur il faut le retenir à deux mains, sinon il s’échappe. Comme notre ombre. Enfant on aime essayer d’attraper notre ombre, mais peut-être qu’il faut la laisser tranquille. L’ombre est une caresse de l’autre monde. Le frôlement de notre propre mort. L’empreinte de ce qui nous survivra ou de ce qui existe ailleurs. Enfant, on court déjà après la mort. Dan parle à voix haute. Parler à voix haute éloigne la mort. La fait disparaître. Elle court se cacher. Effrayée par la multiplicité des mots. Effrayée par notre capacité à dire. Sa langue à elle est éteinte depuis longtemps. Et il faut nettoyer. Joyce est là. Il peut presque les toucher, sa mère et la mort, juste du bout des doigts et plus il s’approche d’elles, plus il s’approche de lui-même, car au fond, on ne va jamais plus loin que son intérieur et la mort et les morts n’existent nulle part. Ils subsistent ailleurs dans l’écho du monde. Joyce est un écho. Et si Dan n’a jamais pensé à sa propre mort c’est peut-être parce qu’il savait qu’un jour il allait se retrouver ici, en train de nettoyer un meurtre et que toute la réflexion d’une vie allait l’assaillir d’un coup et qu’il allait être secoué de terreur, une terreur qui fait sortir du corps, qui projette au plafond et une fois qu’on pense à la mort, on ne peut penser à autre chose qu’à cette immense absurdité qui vit juste à nos côtés ou en dessous de nous ou par-dessus; enfin partout, peu importe, elle nous entoure, nous saisit par le cou et nous étouffons. Et il faut nettoyer. Il garde les rideaux tirés. Il a peur que l’âme de Joyce s’échappe, qu’elle aille vers la lumière. Il doit traiter la maison comme on traite une plaie ouverte. Colmater l’hémorragie. Protéger cet intérieur blessé. La maison saigne. Et s’il laisse le rouge teinter l’extérieur, le monde entier sera en sanglot. Il pleure. Il devrait être avec ses enfants, mais voilà. Il est ici. Sa fille court vers lui. Il l’efface aussitôt. Même en pensée, elle n’a pas à pourchasser l’ombre de sa grand-mère. Ou son ombre à lui. Il se demande s’il n’est pas mort aussi. S’il n’était pas ici à l’heure du crime. S’il n’a pas tout vu. Et il faut nettoyer. La fenêtre en losange a attiré le meurtrier. Il a hésité entre les deux maisons, comme en proie à un dédoublement. Il s’est vu entrer dans l’une puis dans l’autre, puis il a choisi. Ici. Dan ne veut pas ouvrir la porte de la chambre de Joyce. Il veut rester en dehors de la mort de sa mère. Il y a des endroits où il vaut mieux ne pas s’enfoncer parce qu’on risque de ne jamais en sortir, mais on passe la porte quand même. Il faut nettoyer. Purifier. Il fait noir. Il n’ose pas ouvrir la lumière de peur de déranger la mort. Parce qu’elle est toujours ici. Elle ne s’en ira jamais. Elle veut rester. Regarder son œuvre. La mort est une artiste folle. Une peintre déchaînée. Elle est si proche qu’elle arrive parfois à déchirer le mince rideau de notre réalité pour venir peindre sur nos murs avec notre sang. La maison de ma mère est un musée. La phrase résonne. Le cadran clignote: le temps s’est arrêté. Les matins d’enfance passés avec Joyce sous la couette bleue. Sous la couette ensanglantée. L’homme ne connaît pas non plus son heure, pareil aux poissons qui sont pris au filet fatal. Elle se cachait sous la couette. Elle disparaissait et réapparaissait. Elle était là et ailleurs. Comme maintenant. Sauf qu’aujourd’hui, ils jouent à cache-cache dans deux mondes différents et ni le fils ni la mère n’apparaît aux yeux de l’autre. Il n’y a qu’une chambre en sang. Il regarde attentivement la tache sur le matelas. Il cherche un signe. Quelque chose de connu. L’empreinte du corps de sa mère. À force de regarder, il a l’impression que le sang pourrait se rassembler dans un autre corps et former une nouvelle personne. Il entend son dernier râle. Il pense un instant à mettre le feu à la pièce pour éliminer toute trace de violence. La terre est corrompue devant Dieu, la terre est pleine de violence. La mort est une voleuse. Elle a dérobé à Joyce sa mort paisible. La mort aime se surprendre. Et il faut nettoyer. Effacer chaque parcelle de sa mère. Éclaboussée au sol. Vidée d’elle-même. On ne se rend pas compte que les gens peuvent se retrouver à l’extérieur d’eux-mêmes et pourtant, elle est partout. Sur les murs. Les tapis. Le sol. Le plafond. Sur son coffre à bijoux. Le téléphone. Fil coupé. Même si elle avait crié à l’aide à s’en arracher les poumons, le son se serait heurté à la cruelle réalité que personne n’était là pour l’entendre. Le cri de l’âme de sa mère se coince dans la gorge de Dan. Joyce est en tout lieu. Sur le moindre objet qui traînait là. Ses objets en sang. Sans sens. La langue se déplace, l’esprit dérape. La mort est un déplacement. Un mouvement en avant que personne ne peut stopper. La mort est une langue qu’on ne peut pas parler. Elle obstrue la vision comme une ombre au coin de l’œil et lorsqu’on se retourne, elle disparaît et lorsqu’on croit l’avoir saisie, elle se transforme en autre chose: la mort n’est pas ce que l’on pense. Les traces de sang ont dégouliné et à un certain moment, elles se sont figées, arrêtées nettes, comme si quelqu’un les dessinait de l’autre côté, de l’autre côté du monde, que c’était la mort elle-même qui peignait les traces, comme si le sang était la seule substance à traverser les univers. Dan voit Joyce dans les ombres, dans le souffle étrange des coins de murs, comme une empreinte d’air. Elle est partout et nulle part. La mort rodait ici bien avant que le meurtrier n’avance dans le noir. Qu’il glisse doucement dans les couloirs de la maison. Condamné à marcher sur le ventre et à manger de la poussière tous les jours de sa vie. C’est la mort qui lui a fait signe de la fenêtre en losange. La mort lui a joué de la flûte. Dan n’a jamais cru aux fantômes. Il croit au paradis. C’est difficile de croire à ce en quoi il a toujours cru. Comme tout le reste, sa croyance est suspendue. Ici, il n’y a qu’un meurtre. Pas de place pour rien d’autre. Le meurtre aspire tout le reste. Il sature l’espace d’une horreur qui se trouve aussi bien dans le visible que l’invisible. Dan est de l’autre côté de la fenêtre en losange et il regarde le meurtrier hésiter entre les deux maisons. La mort ne sait même pas qu’elle est la mort. Dan tape des mains. Le bruit casse le temps. Quand Joyce tape des mains, Dan glisse vers un coin de la pièce. La main tape sa joue. L’écho d’un bruit peut à lui seul créer un enchaînement; une course vers le passé qui ne s’arrête que lorsque la mémoire atteint son point initial. Et il faut nettoyer. Ce n’est pas simple d’aimer ma mère. Ce n’est pas simple d’aimer une mère morte et de devoir effacer toutes ses sphères d’ombres. Dan balaie les pensées obscures qui ternissent les joues des enfants. Car l’Éternel châtie celui qu’il aime. Sa main d’enfant s’accroche au fil de téléphone comme si celui-ci reliait deux mondes, deux temps. Exister sur deux plans c’est ce que faisait Dan quand il était petit. Dedans et dehors de la maison. Dehors, le dedans n’existait pas et dedans, il ne voulait qu’être au-dehors. Il était double. Comme Joyce a toujours été double. La maman qui se cache sous les couvertures et qui en ressort avec un autre visage: celui d’une colère obscure qui vient d’ailleurs. Il faut nettoyer. Effacer la rage passée et présente. Il ouvre la fenêtre en losange et l’air gelé de L.A. pénètre dans la pièce. Il respire enfin. Joyce sort. Elle vole ailleurs, loin de la maison dans laquelle elle a un jour entouré de ses mains le cou délicat de son enfant.

La journée est plutôt étouffante et si l’air paraît froid en plein mois d’août, ce sont sans aucun doute les relents d’un passé qui ne peut se ressentir qu’en contraste: chaud, froid. La froidure du regard de Joyce. Les yeux de métal qui font écho à l’odeur du sang qui colore les murs du salon. Dan remplit un seau. Il faut nettoyer. Si seulement son corps obéissait à sa volonté. Il est figé. L’horreur de la situation l’assaille par vagues. As-tu pénétré jusqu’aux sources de la mer? T’es-tu promené dans les profondeurs de l’abîme? Il se souvient de la mer et de l’immense souffle qu’il fallait retenir avant d’y plonger la tête et de son envie de demeurer sous l’eau, de ne pas remonter, de s’enfoncer loin pour refaire surface de l’autre côté du monde là où sa mère ne pourrait pas mettre les pieds. Changer de lieu. Dan réalise à quel point il n’a jamais voulu être là où il est. Comme dans la maison à fenêtre en losange. Il s’imaginait vivre dans la maison jumelle, de l’autre côté de la rue et regarder Joyce de loin et se dire qu’il n’aimerait pas qu’elle soit sa mère. Le seau déborde. Dan, plongé si loin dans ses pensées, a oublié qu’il était ici et l’eau s’est répandue au sol. Joyce a beau s’être envolée, elle crie de nettoyer les traces de boue laissées par ses pieds d’enfant. Il ne faut jamais penser que les victimes de meurtre reposent en paix. La vie arrachée trop vite n’a pas le temps de s’éteindre et l’ombre poursuit sa route comme si de rien n’était. Joyce est partie, mais il en reste quelque chose. La partie insaisissable, celle qui est aussi opaque et fuyante que la fumée. Celle qui étouffe Dan. Il s’élevait de la fumée dans ses narines. Et un feu dévorant sortait de sa bouche: Il en jaillissait des charbons embrasés. Sa mère vivait d’une cigarette à l’autre, comme si elle y puisait sa force. Le geste constant d’allumer et d’éteindre; des regains de vie et des petites morts s’accumulant au fil des jours. Sa silhouette toujours entourée de volutes de fumée en avait adopté la forme. L’odeur du tabac qui émanait de Joyce, comme son parfum, continue de planer dans la maison et donne à Dan le même sentiment que lorsqu’il était petit: un mélange de dégout et de curiosité. Il faut nettoyer. D’abord absorber le dégât d’eau. La position penchée l’oblige à se mettre à la place du meurtrier-serpent qui a glissé vers la chambre de Joyce. Le meurtrier qui n’existe qu’en dessin, dissimulé sous le couvert d’un autre monde. On pourrait coller son portrait-robot sur n’importe quel visage et on n’arriverait jamais à saisir le vrai serpent. Il connaît trop bien la ville. Il entre et sort des maisons, déguisé d’une folie qui prend forme ailleurs que dans le réel. Dan se demande comment on devient fou? Si le meurtrier n’a pas un jour lui-même nettoyé la scène de crime de sa propre mère, perdu l’esprit et simplement décidé de recréer des meurtres à l’infini. Si ce n’est pas sa propre mère qu’il assassine encore et encore. Dan se demande s’il sortira lui-même intact de la maison, encore visible aux yeux extérieurs, ou s’il deviendra fou à son tour. Le corps de Joyce couché sur une table de métal a rendu le réel flou pour la première fois. Il aurait juré qu’elle dormait. Il faisait froid. Et il était rentré chez lui avec un sentiment d’inquiétude. L’impression qu’il lui manquait quelque chose et ce n’était pas l’esprit qu’il avait perdu, mais la certitude; celle que tout irait bien; celle que Dieu vivait en haut et lui en bas et que la prière reliait les dimensions sans interférences, car chaque fois qu’il lui avait demandé, Dieu avait agi. Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Dan essore le linge et l’eau teintée de rose s’écoule dans l’évier. Il cherche au sol ce qui a pu la colorer. Le sang foncé esquisse un cercle sous les pattes de la chaise. L’horreur a déteint jusqu’ici. La violence a traversé la maison. La maison au grand complet saigne. À bien y penser, elle a toujours été en hémorragie… Sa main d’enfant est blessée. Joyce, entourée de spirales de fumée, détourne le regard. La main va s’infecter et il devra passer des jours à l’hôpital. L’enfance de Dan est une maison creuse où l’écho se répercute sur les murs et s’épuise dans un murmure sourd… l’enfance de Dan est un cri étouffé… L’enfance de Dan ne s’entend pas… L’enfance de Dan… n’est pas l’enfance.

La violence de Joyce a attiré celle du meurtrier. Appelé par le même, par la possibilité d’être enfin face à son double et de s’engager avec lui dans un combat mortel, il a regardé la fenêtre en losange et s’est senti chez lui. Dans cette maison de laquelle Dan n’a jamais voulu que sortir, l’assassin, lui, ne voulait qu’entrer, et par la même porte, dans deux temps différents, ils se sont croisés sur le seuil. Tu ne tueras point. Il faut nettoyer. Joyce n’aimerait pas se savoir dégouliner sur les murs, réduite à des barbouillis rouges. Elle voudrait que tout soit rangé, propre, ses choses et sa vie alignées; et dans la tête de son fils, revêtir le costume d’une mère qui sentait bon et qui n’avait pas commencé à se volatiliser de son vivant. Dan continue d’essayer d’effacer la tache de sang de la cuisine, mais rien n’y fait. Elle a été absorbée par le plancher de bois, comme si la maison essayait d’avaler ce qui reste de Joyce. Le soir est tombé d’un seul coup et la pénombre s’est approprié les lieux. Elle s’est répandue comme une tache d’encre jusqu’à tout recouvrir. Les meubles projettent désormais leur fantôme et la réalité est encore plus difficile à distinguer des inventions de l’esprit, parce que le soir, on voit un mirage qui apparaît et disparaît à la manière de Joyce sous la couverture bleue. La maison a toujours manqué de lumière et les racoins sont peuplés de spectres. Dan, les yeux grands ouverts, surveille le coin noir de sa chambre. Il a les yeux exorbités, qu’il fasse clair ou noir. Adulte ou enfant. Il ne peut s’empêcher de penser à la maison du meurtrier dans laquelle il faut ramper. Une maison humide et froide, cachée entre la vie et la mort. Et il se dit qu’il faudrait un miracle pour mettre la main sur le serpent. Alors il arrête de nettoyer et il prie. Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé; car Dieu a fait l’homme à son image. Joyce aimait répéter les paroles de Dieu, mais elle les lançait comme ça, sans y penser, possiblement sans y croire, tout en les inscrivant dans la tête de son enfant. S’allumer une cigarette et prier. Prier pour que le père de Dan revienne ou que n’importe quel père arrive, un écho et alors, il en venait un, bien accroché dans le présent, fumant la pipe ou buvant du whisky et il s’envolait du jour au lendemain, comme un serpent qui se sauve sous le couvert de la nuit. Dan se souvient d’un père qui l’amenait à la pêche. L’homme ne connaît pas non plus son heure, pareil aux poissons qui sont pris au filet fatal. Il s’imaginait leur panique face à la réalisation de leur mort, lorsque sortis de l’eau, les poissons ouvraient grand la bouche dans un cri silencieux. Il faut nettoyer. Dan frotte un mur en vain. Le sang est fixé. Les ombres créent des figures à la limite de ce qu’on peut reconnaître, une illusion qui se laisse voir en sachant très bien que le spectateur n’arrivera pas à en percer les secrets. Dan pense à sa femme, à sa douceur si éloignée de l’austérité de Joyce, à sa ferveur religieuse. La candeur de Rosa efface ses doutes quant à l’existence du divin et si elle était ici, elle trouverait les mots pour le faire revenir du côté de la vie, et sa lumière chasserait les ombres. Parce qu’il se sent partir. Il sent son être se diviser de plus en plus sans qu’il n’y puisse rien. Le passé, le présent. L’enfance et l’âge adulte. La vie et la mort. Les choses et leur ombre. Tout est double. Il a recouvert d’un drap le miroir de la chambre de Joyce. Car, si quelqu’un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s’être regardé, s’en va, et oublie aussitôt quel il était. Le miroir a capté l’image du serpent. Dan a peur de s’y apercevoir. Que leurs visages soient en fait une seule et même tête. Que le fait qu’ils se soient croisés sur le seuil de la porte ait eu pour effet de les fusionner et que la rage de Dan envers sa mère ait provoqué sa mort. Il faut nettoyer, mais il ne sait par où commencer. Tout est en désordre, même les paroles de Dieu. Dan a sommeil. Les images de la journée s’entrechoquent et provoquent une nouvelle réalité. Il sait bien que le monde extérieur n’a presque pas bougé, mais lui a changé. Il s’endort en murmurant…

L’homme est semblable à un souffle et nous ne savons rien pareil aux poissons qui sont pris au filet fatal. La terre est corrompue, pleine de violence. L’Éternel châtie jusqu’aux sources de la mer, dans les profondeurs de l’abîme. Il jaillissait des charbons embrasés. Je suis le chemin et la vie ne tuera point. Quelqu’un verse le sang de l’homme. Dieu a fait l’homme à son image, un homme qui regarde dans un miroir et oublie aussitôt le filet fatal.

Il se sent étourdi. Il regarde le canapé pour s’assurer qu’il n’est pas souillé de sang et à peine a-t-il posé la tête sur le coussin doré, il s’endort d’un sommeil sans rêves.

Au petit matin, les ombres ont cessé d’exister. Les taches de sang qui lui semblaient figées ne sont plus qu’un léger hâle sur les murs. Un coup de peinture et elles s’effaceront. Dans la chambre de Joyce, les draps et le matelas maculés ont disparu. Le fil de téléphone s’est envolé et les objets ont été remis à leur place. Tout est rangé. Le cadran de Joyce a repris sa course. Les fenêtres sont grandes ouvertes et la maison respire. Dieu merci, pense Dan. Il se lève et aperçoit les bouteilles de produits nettoyants qui gisent au-dessous de la fenêtre en losange, comme des cadavres sur le comptoir de la cuisine, le logo à tête de mort bien en vue.

Pour citer

Dufour, Eveline. 2023. Silentium. Publication en ligne sur le site Quartier F.  http://quartierf.org/fr/publication/silentium

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