Titres manquants

Les livres qui n'existent pas

L'histoire est un livre infini que nous écrivons et lisons et tâchons de comprendre, et dans lequel, aussi, on nous écrit nous-mêmes.
Carlyle

Combien de figures d’écrivains, de critiques, d’éditeurs au sein des textes marquent ces textes d’une indétermination, d’un vertige, pointent la facticité des œuvres de fiction? Combien d’œuvres dans les œuvres appartiennent à la bibliothèque imaginaire si savamment enrichie par Jorge Luis Borges?

Pas assez. Ici se trouvent quelques titres manquants.

Les supercheries, impostures, feintises et autres manèges littéraires parsèment les pratiques ludiques et méta de nombreux écrivains contemporains. Qu’en est-il des lecteurs? Ont-ils eux aussi la possibilité de mentir, de feindre, de remettre aux auteurs la monnaie de leur pièce?

Dans De l’imposture en littérature, Enrique Vila-Matas confie à Jean Echenoz une idée fantaisiste: «Je trouve extrêmement séduisante l’idée de présenter des livres inexistants, et cela me rappelle une pratique inaugurée par Borges consistant à faire la critique d’un livre imaginaire.» La proposition de l’écrivain catalan est effectivement séduisante. Présenter des livres inexistants.

Jean-Benoît Puech s’adonne à la fausse critique en série dans le Roman d’un lecteur.

Tanguy Viel se prend à imaginer (et ironiser) un roman américain dans La disparition de Jim Sullivan.

Camille Laurens place sur la route de son personnage le livre Index qui lui raconte sa vie.

David Turgeon invente une dizaine de romans savoureux; des bestsellers écrits en rafale dans Le continent de plastique.

Andrée A. Michaud évoque le livre qu’elle aurait pu écrire au lieu d’écrire celui qu’elle écrit dans Routes secondaires.

Il n’existe pas une façon de parler des livres qui n’existent pas. C’est à l’invention des œuvres, à l’inventivité, que se consacre ce dossier.

Le sujet, c’est la littérature: celle qu’on écrit et celle qu’on lit. Celle qu’on n’écrit pas, celle qui s’écrira quand même. Ce dont on ne parle pas, ce dont il faut parler, en parler sans en parler, écrire entre les lignes, dans les livres qui ne sont pas des livres, mais des livres miroirs.

Il est ici possible d’ouvrir la réflexion à un champ plus large. Entre l’interrogation de Pierre Bayard dans Comment parler des livres que l’on n’a pas lus? et la proposition éhontée de Vila-Matas, se trouve un espace de réflexion sur les limites de l’interprétation, du discours critique, sur la définition même d’un livre et sur la lecture que nous en faisons. Sur les impossibilités de la création, sur ses strates, ses pièges, et sur sa mauvaise foi.

Le dossier Titres manquants, constitué des actes du speed colloque en recherche-création qui s'est tenu à l'Université du Québec à Montréal en mars 2018, se permet de repenser les formes et stratégies de transmission, de mettre à mal les narrations, de créer du suspense, d’explorer des postures, de déjouer des attentes, avec au cœur, le projet d’augmenter une bibliothèque fictive qui nous amène à interroger la notion de fiction.

Les présentations feintes au coeur du speed colloque pouvaient s’affirmer comme discours critiques, théories, analyses, comptes rendus, plaidoyers, anecdotes, avis d’intention, lectures, mensonges, pastiches, plagiats, inventions, souvenirs, étonnements, confusions, jeux, machinations, complots, impostures, et autres tentatives de création.

De vrais livres ont eu droit à de fausses lectures, de vraies lectures ont été appliquées à de faux livres; tout cela afin de prendre part à une expérience de création visant à mettre en lumière ce que la lecture des œuvres crée, et ce qu’en contrepartie, la création révèle de l’acte de lecture. Voici les résultats de l'expérience.

Pour citer

Bérard, Cassie, Lamarche, Jean-Philippe, Turcotte, Joëlle. 2018. Titres manquants. Cahier virtuel. Numéro 4. En ligne sur le site Quartier F. http://quartierf.org/cahier/titres-manquants

Pierre-Marc Asselin
C’est à se demander si l’auteur est au courant qu’il y a un monde à l’extérieur de lui-même.
Marie-Ève Fortin-Laferrière
Qui n’a jamais eu ce sentiment de vide abyssal devant un auteur enchaînant les dédicaces?
Émile Bordeleau-Pitre
Brûlez tous vos livres, comme le doyen de l’université d’Istanbul disait le faire à Erich Auerbach.
Boris Nonveiller
Le post-vivant n'est pas une autre race ni un autre genre, il est une autre version du vivant.
Isabelle Miron
La fiction est capable de tout, y compris d’exprimer l’annulation de la fiction.
Florence Tétreault
Le premier indice nous vient d’un roman de Florence Tétreault intitulé Meurtre et mystère.
Guillaume Martel LaSalle
Il se peut que l’on découvre en toute œuvre manquante, un livre marquant.
Camille Bernier
L’arrogance d’un auteur se cache parfois dans les recoins les moins sombres de son œuvre.
Mattia Scarpulla
Sandra Occhipinti entre dans l’histoire italienne comme la meurtrière ayant décimé sa famille.
Cassie Bérard
La question de l’acharnement, au fond, allait s’épuiser à l’usage.
Nelly Desmarais
L’impossibilité d’écrire est tout à la fois une menace et une séduction.