J’ai voulu me rappeler l’odeur de l’orange
J’en avais embaumé la maison l’autre fois après le pigeon écrasé du trottoir
J’en avais arrosé la maison l’autre fois après avoir revu la mort de trop près dans les mots-couteaux de Duras
J’en avais semé pour réitérer la saveur de vivre dans le visage des fins.
Ce matin il allait mourir et j’ai voulu me rappeler l’odeur de l’orange
Encore imprimée dans le carton de son lit temporaire, son panier palliatif.
Vous lui avez créé un petit nuage princier en posant des couvertes de polar dans une ex-boîte de transport d’oranges Navel
Elles sont dessinées dessus
Sur le carton blanc
Qu’il partait déjà doucement dedans.
Chez le vétérinaire qui voulait être fin mais qui a mis la mort PAREIL
J’ai voulu me rappeler l’odeur de l’orange que j’ai agrippée au sortir du métro tantôt.
J’avais déjà déjeuné mais devant l’étalage de fruits ma main s’est refermée toute seule
Guidée vers le globe
Comme glissant sur un fil d'or invisible
Comme une menotte courant dans les jupes d’un moine bouddhiste
Comme un réflexe d’appartenance à la vie en avance.
Je me suis rappelé ta crème à mains coréenne en forme de tangerine
L’aromatiseur all-natural qu’on a choisi ensemble pour taire les odeurs de tabac dans l’entrée
Les jeunes clémentines flottant dans le tiroir près des fromages vieillis
Les muffins dattes et oranges qui doraient les tristes cuisines de l’hôpital des fous du cerveau.
L’orange est devenue comme une routine depuis
J’ai essayé tellement fort de la retrouver de m’en conforter mon nez s’est froissé à force de forcer. Mes tempes en ont vrillé mes sourcils creusés en plein milieu
De chacun.
Et des deux.
Deux.
Comme ses pattes un peu.
Là-bas en me penchant sur son corps de chat fatigué de respirer j’ai voulu lui offrir un dernier baiser.
J’ai fermé les yeux ça pleure plus ça entend mieux. J’ai cherché fort le parfum d’oranger, dans son pelage plus plat qu’à l’habitude
J’ai cherché l’orange quelque part n’importe où dans son corps à la surface plastique de la table grise et froide j’ai cherché s’il vous plaît s’il vous plaît dans l’air du petit laboratoire blanc tuant
J’ai cherché en folle je m’en pleurais partout les joues mais j’ai rien trouvé de l’orange du matin, de la crème à mains importée, de l’huile essentielle
Quand je me suis penchée près de son oreille immobile ça sentait le poison. B. ne dégoûtait plus d’orange, il sentait juste le produit de la mort.
Le temps de me redresser de fuir la claque du toxique dans la face de mon cœur
Ma petite sœur
Avait déjà séparé ses petites pattes molles de bébé tigre épuisé
Et placé une marguerite blanche entre les coussinets fragiles
La tête de fleur reposant sur son cœur
Le pistil pointant comme un citron pimpant dans l’air brouillé
On aurait dit un phoque recueilli, un baleineau assoupi
Un poupon délivré
Et juste comme ça
Quand mes yeux ont balayé son corps au revoir
Sur ses rayures se balançaient tous les orangers du monde.