Le circuit des yeux

Vous connaissez la place du jeu de Balle ? Il y a un banc, devant l’église de l’immaculée conception. […] Je suis là tous les jours à cinq heures, prête à écouter. Vous vous asseyez près de moi et vous me parlez. Ça peut durer cinq minutes ou toute la soirée, c’est comme vous voulez. Et moi je garde tout. Vos battements de cœur, vos mains moites, vos petits rires, vos yeux qui se mouillent quand vous me dites que vous l’aimez encore. Dites-le à tous ceux que vous connaissez. Dites-leur qu’ils peuvent venir. […] Je m’appelle Élisa.
Carole Fréchette, La peau d'Élisa

Bruxelles. Place du jeu de Balle. Les bibelots. L’odeur de la fripe. Je flâne à la recherche d’une lampe de chevet années 1920. Je déambule entre les antiquaires jusqu’aux manteaux en fourrure entassés en face de l’église. Cinq heures. J’hésite. Un coup d’œil discret à l’horloge, puis au banc. Elle n’est pas là. Bien sûr qu’elle n’est pas là. Je m’irrite d’avoir fait ce détour pour une lampe de chevet dont je n’ai pas besoin. D’avoir traversé la ville pour un personnage de fiction. Je regarde ma montre. L’idée de revenir demain me traverse. Par bêtise, parce qu’on ne sait jamais. Je vous propose de vous laissez prendre à votre tour. Où la fiction nous emmène-elle? Quels risques nous fait-elle prendre? Quels détours, quels raccourcis?